
À Mohamed VI
Rabat
Maroc.
Bissmillah,
Votre intronisation a - au début - suscité au sein de
notre peuple une vague d'optimisme et ranimé des espoirs
qui pouvaient permettre à notre pays de vivre les
transformations nécessaires qu'exigent, d'une part, la
situation nationale critique, et d'autre part, les
facteurs de développement universel qui, en ce début
d'un nouveau siècle, annoncent des révolutions profondes
dans tous les domaines de la vie.
Ces espoirs sincère,
que nous avons partagés avec notre peuple, ont été
corroborés, par vos déclarations qui témoignaient d´une
conscience des problèmes de la réalité actuelle et du
besoin de changement souhaité. Cela a attiré notre
attention et celle de tous les militants dévoués qui,
durant toutes ces années passées, ont appelé activement
à un Maroc où régneraient la justice et la liberté, un
Maroc en harmonie avec ses spécificités
arabo-islamiques, son histoire et son patrimoine
solidement enracinés, un Maroc assumant pleinement son
rôle précurseur dans l'édification d'un grand Maghreb
Uni, au sein de l'espace arabo-islamique bien encadré.
Vos déclarations d´alors m'ont incité à vous
adjurer, par cette lettre, de ne pas laisser échapper
cette occasion propice comme tant d'autres, déjà
inutilement perdues et de profiter de ces conjonctures -
intérieures et extérieures - favorables , pour opérer un
changement radical qui dépasse les les apparences, les
formalités et les façades, qui puisse toucher au cœur
des situations, des structures, des institutions
sociales, administratives, économiques et politiques, et
permettre à notre peuple de réaliser ses ambitions
légitimes, sur les plans humains et sociaux en opérant
et en réalisant les changements historiques et les
grands projets dont 1a plupart ont été arrêtés et
freinés depuis l'aube de l'indépendance, et pour
lesquels les militants d'avant garde n'ont cessé
de se sacrifier sans jamais perdre espoir.
Ces projets,
espoirs et souhaits qui n'ont pas échappés à l'attention
du votre père Hassan II - qui avait enfin et en
retard - compris que sans eux, il était difficile
d'édifier un État moderne, efficace, légitime et en
harmonie avec son époque pour lui assurer une
stabilité fondée sur la justice et la démocratie. A la
fin de son règne, votre père a tenté de procéder à un
semblant de réforme par des décisions machiavéliques
superficielles dépourvue de tout sincérité, et qui
n´avaient d´autre but que celui de la survie et le
camouflage d´un régime tyrannique agonissant, décadent
et totalement corrompu. Si vous voulez,
sincèrement, contribuer à l´instauration d´un avenir
meilleur - pour notre pays, pour notre peuple et pour
vous même - ce système archaïque en anachronique et ces sales
méthodes de votre père doivent être définitivement
abandonnés.
La grandeur des chefs État et des leaders, surtout à
notre époque, ne se mesure pas, comme vous le savez, à
la grandeur de leurs palais ni au nombre de leurs
esclaves, ni même à la superficie de leurs pays, mais à
l'importance de leurs réalisations et à leur capacité à
opérer les grandes transformations et à créer les
initiatives pertinentes, pour répondre aux espérances de
leurs peuples, suivant ainsi le rythme du changement
éternelle, loi naturelle de Dieu et conformément aux
valeurs de leur époque, et sui, ce principe, Nelson
Mandela a pu acquérir sa renommée en se sacrifiant pour
la liberté de son peuple et en réussissant à instaurer
un régime démocratique en Afrique du Sud, puis en
quittant le pouvoir après seulement un mandat. Sur ce
même principe, le roi Juan Carlos a pu gagner le respect
en en mettant fin à la monarchie absolue abandonnant
ainsi le pouvoir gouvernemental aux gouvernements élus par le peuple en Espagne. Dans le même registre, on retient le
nom du président chinois Ding Tsiao Ping qui a réformé
l'ancien régime communiste, et celui du leader
soviétique Gorbatchev, désormais entré dans l'Histoire.
En conséquence, je pense que la nécessité de réforme
dont le destin vous incombe et que tous les
Marocains attendent de vous, en cet instant de notre
l'Histoire, se résumerait en quatre points.
Premièrement:
La modernisation de la légitimité du pouvoir. Nulle part
la légitimité du pouvoir n'est absolue ou éternelle;
elle exige un renouvellement constant, allant de pair
avec le développement et les besoins. Aujourd'hui, au
Maroc, cette légitimité se fond la loi de la jungle et
de la force sur le fait accompli. Mais la
légitimité est, du point de vue islamique, conditionnée
par la fidélité de l'engagement aux constantes
religieuses de la nation et à leurs fonctions sociales y
compris l'existence de la délibération et du
consentement entre le chef de l'état et le peuple et liée au
principe de l'approbation populaire, c'est à dire à son
consentement, et cela, à travers des élections libres et
directes.
Et dans le cadre des règles régissant la
légitimité des états et des gouvernements à notre époque, nous ne
pouvons ignorer la représentativité et le consentement
du peuple. Alors que vous essayez de fonder votre
légitimité sur des principes aujourd'hui dépassés contraire à notre religion, à
la démocratie et au droit de notre peuple à librement choisir et contrôler son
régime politique, ses dirigeants et son gouvernement. Vous êtes, ainsi que votre
régime monarchique imposée par la force,
appelés, de par les exigences historiques, à vous
moderniser en laissant l'essentiel du pouvoir aux
gouvernements élus par le peuple, pour aller de pair et avec l'air du
temps et avec l'esprit de l'Islam.
Deuxièmement:
Comme vous le savez, la situation sociale du Maroc
est une des plus mauvaises de la région, du monde arabe
et peut être même du reste du monde. C'est en tout cas
la pire qu'ait jamais connu notre pays, eu égard au tain
de: chômage démesuré, à la propagation de
l'analphabétisme et à l'écart qui ne cesse de se creuser
entre une minorité de plus en plus riche et une majorité de plus en plus
pauvre.
Et, comme si les calamités et les malheurs de la
pauvreté ne suffisaient pas, un autre fléau, celui de la
corruption administrative et politique, vient s'y
ajouter, entraînant toutes sortes de vices, au point de
devenir un cancer gangrenant notre société et mettant
ainsi en danger ses piliers et ceux de État, du sommet
à la base, si une volonté de changement, rapide et
déterminée, n'intervient pas pour y remédier.
En
réalité, les crises sociales sont le mal à soigner en
priorité, car avec elles, on ne peut rien attendre de
toutes prises de décisions démocratiques, de toutes
tentatives d'élargir la participation populaire ou de
faire agir la société civile. Par conséquent, i1 est
impératif de commencer d'abord par expurger ces maux, et
d'une façon radicale et révolutionnaire afin de refondre
la géographie sociale, de rectifier ses contours et ses
aspects, de réduire l'écart qui sépare les citoyens
riches des citoyens pauvres, de combattre la corruption,
de refonder les attaches entre le citoyen et sa patrie,
le gouvernant et le gouverné, l'administration et les
administrés, et entre toutes les catégories sociales...
Mais cela doit se faire avant toutes sortes d'élections
ou de promulgation de nouvelles lois régissant les
activités syndicales, municipales, locales, partisanes,
démocratiques, etc.
A cause des calamités passées et présentes, une
bonne partie du peuple marocain s'est transformée en
troupeaux d'immigrants et d'exilés à la recherche de
n'importe quel pays d'accueil, s'arrachant ainsi à leurs racines,
abandonnant leur identité. Il est inconcevable que
l'image de la jeunesse marocaine qui constitue les trois
quarts de la population de notre pays puisse être
réduite à cela.
Troisièmement: la réforme politique
Le système politique marocain a urgemment
besoin d'être restructuré et reconstruit sur la base des
principes établis de notre religion afin qu'il aille de
concert avec les évolutions mondiales modernes. Le défi
auquel vous êtes confronté consiste en la
capacité de faire preuve de souplesse et d'ouverture,
d'appliquer les valeurs modernes les plus méritoires
telles que la démocratie, les droits de l'homme et la
transparence, d'instaurer la pluralité politique,
l'alternance des pouvoirs, l'activation de la
participation populaire, de consolider les constituants et les
éléments de la société civile.
Je suis persuadés que
les concepts sur lesquels s’édifient les États,
aujourd'hui, sont
radicalement différents de ceux du passé, et il en va de
même pour les critères qui définissent la prospérité des
États, leur prestige et leur rôle sur la scène politique
internationale.
Et, en tête des concepts et des
critères modernes sur lesquels se fondent les États
moderne,
actifs et respectables, il convient de mentionner le
système de gouvernement basé sur la légitimité et non
sur la force.
La stabilité des États modernes s'établit sur la
force de la loi et non sur la loi de 1a force et de la
répression; leurs constitutions doivent être fondée sur
les valeurs spirituelles bien ancrées de la nation et
des hautes valeurs de leur époque; leur dignité doit
être fondée
sur celle de ses citoyens et non sur ces vieilles marques
d'esclavage qui consistent à baiser les mains, à se
prosterner devant un être humain et exercer l'hypocrisie
à outrance.
Le rayonnement, le prestige et la force des États légitimes modernes sont
se fondent sur leur essor spirituel et matériel, sur leur créativité
et leur constructive contribution à la société des nations.
Je suis sûr et certains que notre peuple marocain
est capable non seulement d'accueillir ces réformes,
mais aussi qu'il sont de sont droit naturel et qu'il les mérite;
comme je suis certains qu'il est à même de réagir
favorablement à ces réformes ainsi qu'à ce qu'il en
découlera.
Quatrièmement:
Je crois sincèrement que notre cher pays a un rôle
précurseur et constructif à jouer aux niveaux arabe, islamique,
africain et mondial, qu'il a une lourde responsabilité
de par ses capacités et ses aptitudes, son pouvoir et
son histoire rayonnante dans ces sphères.
Cependant,
en dépit de son aspect brillant et réussi, ce
rôle nous semble loin d'atteindre la perfection, eu
égard à toutes les crises, aux facteurs de dégradation
et de défaillance qui sévissent au Maroc, au niveau de
État comme à celui de la société. Mais si l'on y
remédie, si l'on réalise les réformes nécessaires et si
l'on déploie les conditions de la modernisation, le
Maroc pourra accéder à un haut rang mondial, qui lui
permettra de jouer un rôle constructif plus important et plus
crédible qu'aujourd'hui. Nous
tous, nous ne pouvons nous contenter de rester
spectateurs ou même acteurs secondaires face aux défis
et aux défis historiques cruciales
qu'affrontent actuellement notre nation arabo-musulmane,
et à la tête de tous ces défis, la question
palestinienne. Nous devons jouer un rôle actif, efficient
et efficace et
direct pour la défense des droits sacrés de notre nation
arabo-musulmane, prendre partie fait et cause pour les principes de la
justice et de la raison, nous ranger aux côtés de nos
frères d'une façon claire et lucide, réaliser
l'unification de notre nation islamique, sa dignité et sa
renaissance.
Je prie Dieu le Tout Puissant
de vous inspirer la bonne voie, la
clairvoyance, la sagesse et le courage de prendre les
décisions adéquates ainsi que la ferme volonté d'assumer
les lourdes responsabilités historiques dont le destin
vous incombe.
Ne pas le faire comme il se doit, pourrait mener à des
dangers multiples, car les échecs et les déceptions
conduiraient inéluctablement la population à perdre tout
espoir de changement et de réforme pour une vie plus
digne et un avenir meilleur. Ces déceptions pourraient
provoquer la colère et jeter le pays dans le tourbillon
de la violence. Nous en avons eu quelques exemples dans
plusieurs pays proches ou lointains. Je prie Dieu
de vous protéger d'un entourage
délétère, des flagorneurs et des hypocrites en tout
genre qui tournent autour des gouvernants et les
empêchent de voir la lumière en plein jour.
Quant
à moi, signataires de cette lettre, je ne
recherche ni prestige ni un quelconque profit. Je
n'aspire qu'à la grâce de Dieu, appliquant Ses
commandements, dans l'intérêt de notre pays bien aimé.
Le Saint Coran dit: "Dis: Agissez et Dieu verra votre action, de même que
Son Messager et les croyants."
Vendredi 5 janvier 2000 Ahmed Rami
(Texte
original en langue arabe) |